Le blues du formateur

Être formateur (ou formatrice) indépendant(e) : une vocation, un rêve d’autonomie. La promesse de vivre de sa passion, de transformer des vies par le partage de son expertise. Mais hors du projecteur de la salle de formation, loin du regard du public, le maître de cérémonie se bat souvent seul contre un ennemi silencieux et insidieux : le blues…

MINDSET ENTREPRENEUR

Maya

11/18/20254 min read

Ce n'est pas seulement la fatigue de l'entrepreneuriat, c'est la déception de voir son cœur de métier – la transmission de connaissances et de compétences – miné par les impératifs de la survie, de la performance et de la gestion… Que se cache-t-il derrière le sourire en salle ?

Le fardeau de l'excellence… et l'épuisement silencieux

Le formateur n'est pas un simple conférencier. Il est un architecte de l'apprentissage. Sa motivation la plus profonde est de donner satisfaction à ses clients et de laisser une trace positive chez ses stagiaires.

Son moteur, c'est la reconnaissance de ses apprenants. Un "merci, j'ai vraiment appris quelque chose", une évaluation positive... Ces retours ne sont pas que de la politesse. Ils sont la preuve que les heures de travail acharné n'ont pas été vaines. C'est ce qui renforce sa motivation et légitime son expertise face à l'incertitude de son statut d’indépendant.

La quête incessante de compétence

Pour maintenir cette légitimité, le formateur est sous pression car il doit se montrer constamment compétent.

Il doit maîtriser son domaine, en être un expert incontesté. Cela exige une veille permanente sur les évolutions, les technologies, et les tendances de son secteur. Un investissement intellectuel colossal, réalisé sur son temps personnel, pour ne jamais être pris en défaut par une question pointue.

L’excellence n’est pas non plus une option pour le pédagogue qui veut que ses formations soient claires, intéressantes et actionnables. Cette exigence le pousse à consacrer d'innombrables heures à la conception et à l'amélioration de ses contenus, un temps souvent non facturé mais essentiel à son offre.

L'épuisement de la représentation

L'animation est la partie visible de l'iceberg, et celle qui consume le plus d'énergie. Lors de ses interventions, le formateur est toujours en représentation, face à un public plus ou moins réceptif et pas toujours (bien que souvent) bienveillant. Même s’il a passé une mauvaise nuit, s’est disputé avec son (ou sa) cher(e) et tendre, vient de tacher sa plus belle cravate… the show must go on ! Il doit maintenir un dynamisme et une attention constants. Le professionnalisme exige d'éteindre ses propres besoins pour allumer l'énergie du groupe.

Le ressenti est souvent le même : « Je suis fatigué par la partie animation, cela demande trop d'énergie : l'adaptation de chaque instant, la gestion du groupe, le maintien du rythme... Je n'ai plus d'énergie pour la création ni pour moi. »

Et oui, notre formateur aimerait avoir plus de temps à consacrer à l'amélioration de ses contenus (sa valeur durable) et surtout, pour récupérer entre les sessions d'animation de formation afin de ne pas s'effondrer.

La peur de l'échec : les ténèbres de la salle de classe

L'indépendant porte seul le poids de la réussite de la session. Même si comme dans tout métier, l’expérience et l’habitude permettent d’acquérir un certain confort dans la pratique, chaque jour d'animation reste une performance, avec son lot d’imprévus potentiels.

La hantise de tout formateur, c’est l'échec de la transmission : les participants ne comprennent pas ou la formation est jugée ennuyeuse. Peu d'interaction, peu d'écoute, aucune question. Un silence de mort qui résonne comme un jugement.

Le cauchemar ultime reste l'insatisfaction générale, les mauvaises évaluations ! Le sentiment de ne pas être en mesure de garantir l’efficacité de l’apprentissage et le succès de l’expérience des participants.

En fait, le formateur doit être une sorte de magicien, capable de garder le contrôle face à un groupe difficile à gérer (participants passifs, cyniques, ou, à l'inverse, une mauvaise dynamique, voire une situation conflictuelle), capable de s’adapter à tous les profils (débutants vs. experts, introvertis vs. extravertis), qui nécessitent des approches pédagogiques pourtant radicalement différentes !

Et que dire des problèmes logistiques (matériel en panne, absence de connexion Wi-Fi, problème de transport) qui remettent en question sa capacité à animer, le forçant à improviser sous pression.

Et la course aux contrats, on en parle ? Comme pour tout indépendant, la première et la plus stressante des tâches est de trouver des clients et d'assurer la rentabilité de son activité. Sans assistance, le formateur doit démultiplier ses efforts entre la prospection (souvent détestée), l'élaboration de propositions commerciales compétitives, le suivi des factures, avec la menace constante des retards de paiement qui mettent en péril sa trésorerie personnelle.

Le paradoxe du temps

L'indépendant est pris dans un cercle vicieux :

  • Il doit vendre son temps pour gagner de l'argent (animation).

  • Mais il a besoin de temps non facturé pour se consacrer à la création, la mise à jour, l’amélioration de ses contenus – ce qui assure sa qualité future.

  • Et il a besoin de temps pour le marketing et la prospection – ce qui assure son revenu futur.

Le formateur se retrouve donc à sacrifier le temps de qualité (création) et le temps personnel (récupération) au profit du temps de survie (animation et administration). Le blues naît de ce déséquilibre, où le passionné devient un simple exécutant épuisé, qui ne s’accorde plus le droit d’être simplement humain.

Le mot de la fin

Le formateur indépendant est un équilibriste de haut vol. Il doit être à la fois un expert infatigable, un pédagogue brillant, un commercial tenace et un gestionnaire rigoureux. Pour survivre et prospérer, il doit redéfinir sa notion de "compétence" : y inclure l'art de dire non, de fixer des limites et de déléguer parfois pour protéger son temps de repos et de création. Car c'est en prenant soin du formateur que l'on garantit l'excellence de la formation.

« Le blues naît de ce déséquilibre, où le passionné devient un simple exécutant épuisé »